Rencontre avec Véronique Stoven, chercheuse au Centre de Bio-Informatique

Quand l’intelligence artificielle et la recherche en biologie s’allient pour faire avancer la science – Exemple de la mucoviscidose.

Rencontre avec Véronique Stoven, une chercheuse passionnée du Centre de Bio-Informatique (le CBIO), de MINES ParisTech.

Pouvez-vous nous présenter le centre de Bio-informatique ?

Le Centre de Bio-informatique (CBIO) de MINES ParisTech, rattaché au département Mathématiques et Systèmes, développe des méthodes d’apprentissage statistique pour analyser et modéliser des données biologiques et chimiques, notamment au niveau moléculaire. Ces questions véhiculent des nouveaux enjeux, car la biologie d’aujourd’hui est caractérisée par des données massives, hétérogènes et complexes, comme des données de séquençage, de pharmacologie ou d’imagerie. Le CBIO développe des méthodes en apprentissage automatique et intelligence artificielle pour analyser ce type de données.

Comment êtes-vous arrivée à CBIO ? Quel est votre parcours ?

Mon parcours est assez atypique et lié à une succession de rencontres. Je suis Normalienne, initialement spécialisée en physique. J’ai soutenu ma thèse sur les nouvelles techniques pour la reconstruction par Résonnance Magnétique Nucléaire de la structure tridimensionnelle de molécules en solution. Dans ce cadre, je travaillais sur des échantillons, que je considérais uniquement du point de vue physique. Un jour, j’ai commencé à m’intéresser au contenu des échantillons, et au rôle biologique des protéines. J’ai alors décidé d’acquérir les connaissances qui me manquaient en biologie et je me suis formée pendant 2 ans à l’Institut Pasteur. J’ai ensuite intégré le centre de bio-informatique de Mines ParisTech, qui venait juste de se créer, et ai rejoint Jean-Philippe Vert son directeur. En 2003, l’équipe était petite et faisait partie du centre de Géostatistique, car le domaine de l’application du « machine-learning » en biologie était encore assez confidentiel. Aujourd’hui, le CBIO accueille environ 10 doctorants; ils doivent tous acquérir un double profil Intelligence Artificielle et biologie. De plus en plus de jeunes sont attirés par des applications de l’intelligence artificielle et du machine learning dans d’autres domaines que celui des algorithmes financiers.

Depuis deux ans vous avez orienté vos recherches sur la mucoviscidose, pourquoi ce choix ?

Encore un hasard de la vie. J’ai assisté à un colloque qui faisait le point sur l’avancée des recherches sur la mucoviscidose à l’hôpital Necker.  Pour résumer rapidement, la mucoviscidose est une maladie génétique, causée par la mutation du gène CFTR assurant une fonction canal chlorure (Cl-). Une avancée récente majeure dans le traitement de la mucoviscidose repose sur l’utilisation de modulateurs pharmacologiques de CFTR qui favorisent la restauration fonctionnelle du gène. Cependant, ces chemins thérapeutiques présentent un certain nombre de limites puisque les modulateurs de CFTR ne sont pas disponibles pour les patients porteurs de mutations conduisant à l’absence totale de synthèse de la protéine. Par ailleurs, la réponse clinique des patients aux modulateurs est très hétérogène. A la fin du colloque, j’ai pris contact avec le Professeur Isabelle Sermet-Gaudelus, médecin chercheur et co-directeur de l’équipe mucoviscidose et autres canalopathies de l’hôpital Necker. Je lui ai présenté les études réalisées au CBIO concernant la prédiction des interactions des protéines avec des médicaments. Ces algorithmes permettent de simuler la rencontre entre une molécule et une protéine, et de tester ainsi virtuellement des médicaments. En effet, le mécanisme d’action d’un médicament au niveau moléculaire correspond souvent à l’interaction de ce médicament avec une protéine dont la fonction est ainsi activée ou inhibée. J’ai alors lancé l’idée d’utiliser cette technique dans le cadre de la recherche sur la mucoviscidose. C’est comme ça que ce projet est né.

Quelles nouvelles perspectives l’Intelligence artificielle peut-elle apporter à la recherche ?

L’intelligence artificielle va permettre de développer une médecine de précision, c’est-à-dire donner le bon médicament au bon patient. Mais les perspectives vont encore plus loin, avec des applications en pharmacologie. C’est en effet une vraie méthodologie que nous sommes en train de mettre en place, qui pourra servir de référence, particulièrement au sein de la communauté des chercheurs du domaine des maladies rares. Lorsqu’une cible thérapeutique a été identifiée (en général, il s’agit d’une protéine impliquée dans la maladie étudiée), l’intelligence artificielle permet de prédire les molécules capables d’interagir avec cette cible pour contrecarrer à l’évolution de la maladie, limitant ainsi drastiquement le nombre d’expériences à réaliser pour valider de nouvelles thérapies. Ces prédictions peuvent se faire sur de nouvelles molécules, ou sur des médicaments connus. Dans ce dernier cas, on parle de molécule « repositionnée », et l’énorme avantage est que l’on gagne un temps précieux pour les patients: on accède directement à la « phase 2 » du développement clinique, car la toxicité de ces molécules est déjà connue. Ces protocoles pourront être utilisés pour élucider le mécanisme d’action global d’un médicament, puisque les effets observés au niveau clinique, qu’ils soient bénéfiques ou délétères, résultent de l’ensemble des protéines avec lesquelles le médicament interagit.

Dans le cas de la mucoviscidose, des observations biologiques et cliniques bénéfiques indiquent que les modulateurs de CFTR interagissent vraisemblablement  avec des protéines « off target », c’est-à-dire autres que CFTR, la cible thérapeutique convenue. Les approches de machine- et de deep- learning (deux branches de l’intelligence artificielle), couplées à des expériences biologiques de validation, sont actuellement utilisées pour identifier l’ensemble des cibles de ces molécules, afin d’élucider leur mécanisme d’action. Cette connaissance est cruciale car elle ouvrira également la voie à de nouvelles approches thérapeutiques. En effet, l’identification des « off-targets » responsables d’effets bénéfiques tels que la réduction de l’inflammation des voies respiratoires, et pour lesquelles des médicaments spécifiques sont déjà connus, suggèrera des opportunités de repositionnement dans la mucoviscidose. Plus généralement, d’autres cibles thérapeutiques pour lesquelles des médicaments sont disponibles, pourront également être envisagées, parmi les protéines ayant une fonction biologique apparentée à celles des off-targets bénéfiques. Si l’Intelligence artificielle permet donc de mieux comprendre le mécanisme des médicaments, elle permet également en retour d’anticiper des réponses positives ou négatives au traitement. En effet, la connaissance du profil d’expression des patients pour l’ensemble de ces cibles va permettre une stratification des patients et des choix thérapeutiques adaptés. Ce qui est particulièrement innovant dans ce projet, c’est l’idée que dans une maladie génétique monogénique, l’IA permet d’identifier des cibles thérapeutiques autres que la protéine codée par le gène muté,  ainsi que les médicaments associés, pour rétablir des fonctions cellulaires perturbées dans la maladie. A terme, ce projet ferait en quelque sorte une preuve de ce concept, qui serait transposable à d’autres maladies.

Quels sont les partenaires scientifiques du CBIO ?

Comme déjà évoqué, le projet mucoviscidose se place dans le cadre d’une collaboration impliquant des biologistes et cliniciens spécialistes de la mucoviscidose (INSERM U1151, Prof. Isabelle Sermet-Gaudelus) et des biologistes des systèmes (U900, Institut Curie, Dr. Laurence Calzone). Le CBIO collabore depuis sa création avec des équipes de biologistes et de cliniciens ne nombreuses institutions (institut Pasteur, Institut Gustave Roussy, CEA, Inserm etc…). Il a cependant un lien privilégié avec l’Institut Curie, au travers d’une convention qui le lie à l’unité de recherche U900 (Cancer et Génome : bioinformatique, biostatistiques et épidiémologie d’un système complexe). Ce partenariat a amené le CBIO à développer beaucoup de travaux de recherche dans le domaine du cancer. Ce type de structure est essentiel à l’intégration pluridisciplinaire requise pour avoir un impact à la fois du point de vue méthodologique et de celui des applications, avec pour objectifs principaux : comprendre la biologie, trouver de nouveaux traitements et développer la médecine de précision.

Comment coordonnez-vous le travail des différents partenaires ?

C’est un vrai défi de faire dialoguer ensemble des médecins, des chercheurs et des ingénieurs. Il est essentiel d’avoir des binômes médecins et bio-informaticiens qui se comprennent. Nous sommes interdépendants et avons besoin de nos compétences respectives. Mon rôle est de coordonner le dialogue entre tous ces acteurs. Je suis à Curie et à Necker au moins une fois par semaine et j’ai des contacts quasi quotidiens avec les différents acteurs investis dans ce projet. Nous avons également une collaboration avec Valérie Roy du centre des mathématiques appliquées (CMA, Sophia-Antipolis), qui utilise également des approches de machine-learning pour développer des scores de réponse aux traitements, dans le cadre de la mucoviscidose. Disposer de tels scores est indispensable pour évaluer les nouveaux médicaments. Le projet sur la mucoviscidose a bien sûr beaucoup intéressé l’association Vaincre la mucoviscidose, qui vient de financer un doctorant, élève de MINES ParisTech. La fondation des maladies rares est également très intéressée, car la démarche proposée est transposable à d’autres maladies, et permettrait de raccourcir les délais et surtout baisser le coût de la recherche sur les maladies rares et complexes.

Nous sentons qu’une vraie passion vous anime …

Je suis passionnée par ce que je fais, convaincue par la richesse de la multidisciplinarité. J’ai la conviction qu’il faut se battre ensemble pour réussir, et qu’il ne faut pas hésiter à explorer toutes les pistes qui existent : ça prend beaucoup de temps et d’énergie mais c’est ça qui donne du sens à mon travail de chercheuse.

Propos de Véronique Stoven, recueillis par Sandrine Kletz

Pour en savoir plus sur le CBIO

 

Publié le 2 juin 2020

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